Pourquoi faut-il politiser la santé mentale ?

En tant que citoyenne et en tant que thérapeute, j’observe quotidiennement les conséquences néfastes des oppressions sociales et des jeux politiques sur les individus et sur leurs relations.

Pourtant, le bien-être est encore trop souvent ramené à l’individu seul, à ses potentielles « faiblesses », son « incapacité à faire face », « à s’adapter » ou à « résister au stress ». C’est le grand paradoxe du bien-être d’aujourd’hui qui, en oubliant de mentionner que les causes sociétales jouent un rôle majeur dominant dans les souffrances individuelles, violente encore plus ses usagers. Et il est urgent de le reconnaître.

La pathologisation à outrance des émotions et des comportements individuels ne fait qu’empirer la situation en stigmatisant les individus, les définissant comme des êtres inadaptés qu’il faudrait soigner. Tandis que la psychologisation des problèmes liés aux défaillances sociétales produit une intériorisation négative de l’image de soi et valide l’idée d’un échec personnel.
Pourtant, les individus vus, ou qui se voient, comme « défaillants » répondent souvent de façon logique à ce qui est imposé par un système dysfonctionnel et pathogène. La crise de la santé mentale dont tout le monde parle, ce burn-out général, est à prendre comme un signe de résistance à ce système à bout de souffle qui craque.

Discriminations systémiques (homophobie, misogynie, racisme, violence faites aux enfants, exclusion…), précarisation des populations, injonctions paradoxales, tout cela vient taire et immobiliser les individus, les privant de ressources pour agir. On observe alors une explosion des souffrances psychiques comme la seule réponse possible.

Une pratique politisée, une posture éclairée

Praticienne en thérapie systémique, il est important d’intégrer à ma pratique des réflexions et des outils venant de la sociologie, de la philosophie et des sciences plus généralement. Maintenir une vision globale et systémique dans le sens de l’interdisciplinarité est primordial dans ma pratique, continuer à interroger, à douter, à échanger. C’est pourquoi j’ai suivi une formation en sociologie clinique et que je continue à me former sur ces disciplines en parallèle. Rester humble, ouverte à l’apprentissage, prête à évoluer pour respecter les personnes qui viennent me voir.

Nos souffrances individuelles, intériorisées, poussent sur un terreau fertile d’imbrication de systèmes (individuel, familial, social, culturel, économique) complexes, paradoxaux et difficiles à combattre tant ils s’auto-nourrissent et nous composent. En prendre conscience est déjà un énorme pas vers la déculpabilisation et la responsabilisation.

Les souffrance sont réelles, les symptômes sont là et nous devons prendre soin de nous, individuellement et collectivement, c’est un fait. Changer ces paradigmes, remettre du lien, ralentir, accepter d’être défaillant si cela veut dire résister, font partis des soins en sus des accompagnements thérapeutiques qui sont nécessaires, à mon sens, pour aider à tenir et à se remettre debout après les traumas vécus.

La thérapie ne doit pas être un outil au service de la norme en place, pour « re-normaliser » les individus rejetés par la société, ni pour les remettre rapidement sur les rails vers l’utilité et la productivité.

Comme le dit le biologiste Olivier Hamant :

« Il faut embrasser la lenteur, les incohérences et l’hétérogénéité (…) et quitter le monde du burn-out. Sans regret » 

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