Et si le bien-être était dans la fluidité ?

Changer de paradigme dans un monde rigide grâce au narratif

Partie 3 - Le bien-être, entre contribution, utilité et valeur sociale.

Cet article « Le bien-être, entre contribution, utilité et valeur sociale«  fait partie de la série nommée Et si le bien-être était dans la fluidité ?.

🟦 Ces textes n’ont pas vocation à épuiser la complexité des notions évoquées. Ils proposent une lecture systémique, engagée, et ouverte au débat. Pour aller plus loin, des références seront proposées à la fin.

🟦 Ils s’inscrivent dans une démarche de transmission critique, à la croisée de la pratique clinique et de la réflexion sociale.

"Être en mesure d’apporter une contribution à la communauté”

Dans l’article précédent, partie 2 de mon étude qui questionne le bien-être dans la fluidité, nous avions continué à étudier les concepts de la définition de la santé mentale par l’OMS, « travailler avec succès » ainsi que « de manière productive ». Nous finissons, dans cet article, l’exploration de cette définition que je remets ici pour mémo :

La santé mentale est un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive, et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté « .

On termine donc l’analyse avec cette phrase qui, sous des allures humanistes et universalistes, est un terrain miné qu’il est important de questionner.

Le lien à autrui, le sentiment d’utilité, de place sont être fondamentaux pour le bien-être psychique. Ici, on sous-entend que la santé mentale n’est pas une affaire strictement individuelle, ce qui va dans le sens d’une approche systémique du soin. Jusque là, je ne vais pas m’opposer à cette idée puisque je milite justement pour un retour du lien, du collectif, d’un maillage fort du tissu social comme changement de dynamique.

Mais le mot “contribution” me fait tiquer.

Placer pour conclure la définition, où il est préalablement exprimé que la santé mentale repose sur la réalisation d’un « potentiel », d’un « travail avec succès » et « productif », « la contribution » rentre forcément dans cette idée de productivité. Contribuer, c’est agir pour un projet commun avec l’attente de résultats. On arriverait donc au même concept utilitariste et fonctionnaliste du lien social excluant ainsi les handicapés, chômeurs mais aussi les mineurs et les retraités.

Les enfants, adolescents et les seniors sont des catégories sociales extrêmement fragilisées de nos jours, précarisées et victimes de violence. Il suffit de se plonger dans les univers maltraitants des crèches et des Ehpad décrits par le journaliste Victor Castanet dans ses livres pour se faire une idée du désastre.

Les enfants ont la double peine de ne pas avoir de droit de réponse aux attaques qui leurs tombent dessus, et de ne pas être libre de leurs actes comme les adultes. Ainsi, valoriser les personnes qui “contribuent” à la société autorise des pensées, des actions et des phrases comme “je déteste tous les enfants”, les “no-kids zone”. Ces délires discriminatoires d’une violence inouïe (remplacez « enfants » par « noirs » ou « juifs » et on se retrouve dans des époques bien sinistres) sont destinés à des êtres en devenir qui sont, certes éduqués par leurs parents, mais aussi beaucoup par la société même qui les stigmatise, les critique et les rejette dès leurs premiers pas dans ce monde. On y reviendra mais j’ai beaucoup de craintes quant à l’évolution de ces enfants en tant qu’adultes dans une atmosphère si nauséabonde et intolérante. 

L’axe de l’inclusion de l’enfant comme citoyen respecté, écouté et protégé, reflète les normes qui gouvernent la France aujourd’hui et leurs priorités. Il suffit de regarder dans d’autres pays proches, pour voir comment les enfants y sont naturemment inclus, comment on autorise leur place, celle d’être des enfants et non de petits adultes dont le comportement et le développement cognitif attendu serait celui d’un adulte mature (ironiquement, chose que les adultes mêmes se montrent incapables de faire). Les enfants, les seniors, les handicapés et les minorités sont les premiers à être attaqués dans les états violents et autoritaires.
C’est une bonne échelle pour prendre la température sociale du pays et, franchement, on est mal.

Vient la question de la « communauté« .

De quoi parle-t-on ? La nation ? La pratique religieuse ? La famille ? La commune ? L’entreprise ? Le monde vivant ?… Que signifie « communauté en France aujourd’hui, et pour vous ?

Là encore, sans clarification, on risque de tomber dans une vision floue et normative. Et surtout : que se passe-t-il quand cette communauté exclut, oppresse ou violente certains de ses membres ? Peut-on être tenu·e de lui « apporter quelque chose » ? Lui sommes-nous redevables ? Comment rompre ces liens de loyauté quand on est, vit et évolue dans le système ?

Une véritable communauté doit être capable d’accueillir ceux qui ne contribuent pas, sans pour autant les disqualifier. C’est ça le “care” et ce n’est pas juste le rôle des femmes. C’est un devoir politique et juridique d’inclure et de représenter toute la population. Ce contrat social oblige à l’inclusion et représentation de toustes afin que la communauté soit solide et consentante. On comprend désormais que le système craque. 

Sous la surface des définitions officielles, celle-ci et d’autres, c’est tout un système de croyances qui opère. Un système qui transforme le soin en devoir et le bien-être en produit. Là où peut commencer une autre forme d’aliénation.

 

🧩 Vous avez un rôle… mais pas un seul rôle.

Dans les familles comme dans les entreprises, des rôles se donnent et se prennent. Et ces rôles sont interdépendants les uns des autres. C’est parce que l’une est toujours disponible que l’autre peut ne pas faire d’effort.
« Le fort », « la discrète », « celle qui gère tout », « celui qui fait rire », « la médiatrice », « le problème », « la valeur sûre ».

Ces rôles stabilisent le système, ils permettent des fonctionnement rapides et efficaces, mais ils peuvent aussi étouffer.

Pour tenir dans un rôle assigné, beaucoup d’entre nous s’auto-trompe.
On se persuade que « ça va », qu’on a choisi (et c’est parfois à moitié vrai), que c’est normal d’en faire trop, de se taire, de porter pour les autres. On se dit que changer, ne serait-ce qu’un peu, risquerait d’effondrer le château de cartes auquel on tient.

L’auto-tromperie devient une forme de fidélité : au système, aux autres, à l’image de soi, à l’idée qu’on n’a pas le droit de lâcher.
Mais à force, on s’éloigne de ce que l’on ressent vraiment et de cette trahison peuvent surgir des colères, des jalousies, des amertumes et des regrets.

👉 En thérapie systémique, on explore ces dynamiques :

Quels rôles avez-vous appris à jouer pour être accepté·e ?
À qui êtes-vous loyal·e, parfois au prix de vous-même ?
Quelles vérités cachez-vous pour rester à votre place ?
Quels sont les risques de ne plus être ce rôle ?

Vous avez un rôle. Mais vous n’êtes pas que ce rôle.

Reconnaître les stratégies d’auto-tromperie, peut être douloureux…
Mais c’est le début d’un retour vers la complexité et la richesse d’être soi. Une manière plus souple, plus vivante et plus libre.

« Nous vivons dans une société où la valeur d’un être humain se mesure à ce qu’il rapporte. Voilà la vraie violence. » Annie Ernaux

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